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du reste, et arrangeant les faits de manière que l’autre ne pût le reconnaître :

« — N’avez-vous pas remarqué, dit alors Hildebrant, que les actions les plus décisives de notre vie, je veux dire : celles qui risquent le plus de décider de tout notre avenir, sont le plus souvent des actions inconsidérées ?

« — Je le crois volontiers, répondit Audibert. C’est un train dans lequel on monte sans guère y songer, et sans s’être demandé où il mène. Et même, le plus souvent, on ne comprend que le train vous emporte qu’après qu’il est déjà trop tard pour en descendre.

« — Mais peut-être l’enfant en question ne souhaitait-il nullement d’en descendre ?

« — Il ne tient pas encore à en descendre, sans doute. Pour le moment, il se laisse emporter. Le paysage l’amuse, et peu lui importe où il va.

« — Lui ferez-vous de la morale ?

« — Certes non ! Cela ne servirait à rien. Il a été sursaturé de morale, et jusqu’à la nausée.

« — Pourquoi volait-il ?

« — Je ne le sais pas au juste. Sûrement pas par réel besoin. Mais pour se procurer certains avantages ; pour ne pas rester en arrière de camarades plus fortunés… que sais-je ? Par propension native et simple plaisir de voler.

« — C’est là le pire.

« — Parbleu ! car alors il recommencera.

« — Est-il intelligent ?

« — J’ai longtemps cru qu’il l’était moins que ses frères. Mais je doute à présent si je ne faisais pas erreur et si ma fâcheuse impression ne venait pas de ce