Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au contraire, l’histoire de la fausse monnaie, telle que me l’avait rapportée Profitendieu, ne pouvait m’être, me semblait-il, d’aucun usage. Et c’est pourquoi sans doute, au lieu d’aborder aussitôt avec Georges ce point précis, objet premier de ma visite, je louvoyai.

« — Je voudrais d’abord que tu lises ces quelques lignes, dis-je. Tu comprendras pourquoi. Et je lui tendis mon carnet tout ouvert à la page qui pouvait l’intéresser.

« Je le répète : ce geste, maintenant, me paraît absurde. Mais précisément, dans mon roman, c’est par une lecture semblable que je pensais devoir avertir le plus jeune de mes héros. Il m’importait de connaître la réaction de Georges ; j’espérais qu’elle pourrait m’instruire… et même sur la qualité de ce que j’avais écrit.

« Je transcris le passage en question :

« Il y avait dans cet enfant toute une région ténébreuse, sur laquelle l’affectueuse curiosité d’Audibert se penchait. Que le jeune Eudolfe eût volé, il ne lui suffisait pas de le savoir ; il eût voulu qu’Eudolfe lui racontât comment il en était venu là et ce qu’il avait prouvé en volant pour la première fois. L’enfant, du reste, même confiant, n’aurait sans doute pas su le lui dire. Et Audibert n’osait l’interroger, dans la crainte d’amener des protestations mensongères.

« Certain soir qu’Audibert dînait avec Hildebrant, il parla à celui-ci du cas d’Eudolfe ; sans le nommer,