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s’entend bien avec lui. Mais, vous savez, il ne me parle pas beaucoup. Il est très renfermé… Je crains que cet enfant n’ait le cœur un peu sec.

« Il disait cela si tristement que je pris sur moi de protester et de me porter garant des sentiments de son petit-fils.

« — Dans ce cas, il pourrait témoigner un peu davantage, reprit La Pérouse. Ainsi, tenez : le matin, quand il s’en va au lycée avec les autres, je me penche à ma fenêtre pour le regarder passer. Il le sait… Eh bien ! il ne se retourne pas !

« Je voulus le persuader que sans doute Boris craignait de se donner en spectacle à ses camarades et redoutait leurs moqueries ; mais, à ce moment, des clameurs montèrent de la cour.

« La Pérouse me saisit le bras et, d’une voix altérée :

« — Écoutez ! Écoutez ! Les voici qui rentrent.

« Je le regardai. Il s’était mis à trembler de tout son corps.

« — Ces galopins vous feraient-ils peur ? demandai-je.

« — Mais non, mais non, dit-il confusément ; comment supposez-vous… Puis, très vite : — Il faut que je descende. La récréation ne dure que quelques minutes, et vous savez que je surveille l’étude. Adieu. Adieu.

« Il s’élança dans le couloir sans même me serrer la main. Un instant après je l’entendis qui trébuchait dans l’escalier. Je demeurai quelques instants aux écoutes, ne voulant point passer devant les