Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Il sembla réfléchir quelque temps, puis reprit :

« — On dirait un grignottement. J’ai tout essayé pour ne plus l’entendre. J’ai écarté mon lit de la muraille. J’ai mis du coton dans mes oreilles. J’ai suspendu ma montre (vous voyez, j’ai planté là un petit clou), précisément à l’endroit où passe le tuyau, je suppose, afin que le tic-tac de la montre domine l’autre bruit… Mais alors cela me fatigue encore plus, parce que je suis obligé de faire effort pour le reconnaître. C’est absurde, n’est-ce pas ? Mais je préfère encore l’entendre franchement, puisque je sais tout de même qu’il est là… Oh ! je ne devrais pas vous raconter ces choses. Vous voyez, je ne suis plus qu’un vieillard.

« Il s’assit sur le bord du lit et demeura comme hébété. La sinistre dégradation de l’âge ne s’en prend point, chez La Pérouse, tant à l’intelligence qu’au plus profond du caractère. Le ver s’installe au cœur du fruit, pensais-je, en le voyant, lui si ferme et si fier naguère, s’abandonner à un désespoir enfantin. Je tentai de l’en sortir en lui parlant de Boris.

« — Oui, sa chambre est près de la mienne, dit-il en relevant le front. Je vais vous la montrer. Suivez-moi.

« Il me précéda dans le couloir et ouvrit une porte voisine.

« — Cet autre lit que vous voyez est celui du jeune Bernard Profitendieu. (Je jugeai inutile de lui apprendre que Bernard, à partir de ce jour précisément, cesserait d’y coucher. Il continuait :) Boris est content de l’avoir comme camarade et je crois qu’il