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Le petit, qui fait semblant de dormir, mais qui écoute tout, l’oreille tendue dans le noir, en entendant son nom retient son souffle.

— Tu es fou ! Je te parle de Vincent. (Plus âgé qu’Olivier, Vincent vient d’achever ses premières années de médecine.)

— Il te l’a dit ?

— Non. Je l’ai appris sans qu’il s’en doute. Mes parents n’en savent rien.

— Qu’est-ce qu’ils diraient, s’ils apprenaient ?

— Je ne sais pas. Maman serait au désespoir. Papa lui demanderait de rompre ou d’épouser.

— Parbleu ! les bourgeois honnêtes ne comprennent pas qu’on puisse être honnête autrement qu’eux. Comment l’as-tu appris, toi ?

— Voici : depuis quelque temps Vincent sort la nuit, après que mes parents sont couchés. Il fait le moins de bruit qu’il peut en descendant, mais je reconnais son pas dans la rue. La semaine dernière, mardi je crois, la nuit était si chaude que je ne pouvais pas rester couché. Je me suis mis à la fenêtre pour respirer mieux. J’ai entendu la porte d’en bas s’ouvrir et se refermer. Je me suis penché, et quand il a passé près du réverbère, j’ai reconnu Vincent. Il était minuit passé. C’était la première fois. Je veux dire : la première fois que je le remarquais. Mais, depuis que je suis averti, je surveille — oh ! sans le vouloir… et presque chaque nuit je l’entends sortir. Il a sa clef et mes parents lui ont arrangé notre ancienne chambre, à Georges et à moi, en cabinet de consultation, pour quand il aura de la clientèle.