Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soudain ; et comme je m’étonnais : — Quelquefois, la nuit, il me prend besoin de manger… quand je ne peux pas dormir.

« J’étais près de lui ; je m’approchai plus encore et posai doucement ma main sur son bras. Il reprit, sur un ton de voix plus naturel :

« — Il faut vous dire que je dors très mal. Quand il m’arrive de m’endormir, je ne perds pas le sentiment de mon sommeil. Ce n’est pas vraiment dormir, n’est-ce pas ? Celui qui dort vraiment ne sent pas qu’il dort ; simplement, à son réveil, il s’aperçoit qu’il a dormi.

« Puis, avec une insistance tâtillonne, penché vers moi :

« — Parfois je suis tenté de croire que je me fais illusion et que, tout de même, je dors vraiment, alors que je crois ne pas dormir. Mais la preuve que je ne dors pas vraiment, c’est que, si je veux rouvrir les yeux, je les rouvre. D’ordinaire je ne le veux pas. Vous comprenez, n’est-ce pas, que je n’ai aucun intérêt à le faire. À quoi bon me prouver à moi-même que je ne dors pas ? Je garde toujours l’espoir de m’endormir en me persuadant que je dors déjà…

« Il se pencha plus encore, et à voix plus basse :

« — Et puis, il y a quelque chose qui me dérange. Ne le dites pas… Je ne m’en suis pas plaint, parce qu’il n’y a rien à y faire ; et que, n’est-ce pas, ce qu’on ne peut pas changer, cela ne sert à rien de s’en plaindre… Figurez-vous que, contre mon lit, dans la muraille, à la hauteur de ma tête précisément, il y a quelque chose qui fait du bruit.