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jours, « un peu de silence, par pitié ». On dirait, au milieu d’une meute sauvage, un pauvre vieux cerf aux abois. Édouard ignore tout cela.

Journal d’Édouard

« La Pérouse m’a reçu dans une petite salle du rez-de-chaussée, que je connaissais pour la plus inconfortable de la pension. Pour tous meubles, quatre bancs attenants à quatre pupitres, face à un tableau noir, et une chaise de paille sur laquelle La Pérouse m’a forcé de m’asseoir. Il s’est replié sur un des bancs, tout de biais, après de vains efforts pour introduire sous le pupitre ses jambes trop longues.

« — Non, non. Je suis très bien, je vous assure.

« Et le ton de sa voix, l’expression de son visage, disaient :

« — Je suis affreusement mal, et j’espère que cela saute aux yeux ; mais il me plaît d’être ainsi ; et plus je serai mal, moins vous entendrez ma plainte.

« J’ai tâché de plaisanter, mais n’ai pu l’amener à sourire. Il affectait une manière cérémonieuse et comme gourmée, propre à maintenir entre nous de la distance et à me faire entendre : « C’est à vous que je dois d’être ici. »

« Cependant, il se disait très satisfait de tout ; au surplus, éludait mes questions et s’irritait de mon insistance. Pourtant, comme je lui demandais où était sa chambre :

« — Un peu trop loin de la cuisine, a-t-il proféré