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CHAPITRE XV


Édouard a eu soin d’arriver à la pension avant le retour des élèves. Il n’a pas revu La Pérouse depuis la rentrée et c’est à lui qu’il veut parler d’abord. Le vieux professeur de piano s’acquitte de ses nouvelles fonctions de surveillant comme il peut, c’est-à-dire fort mal. Il s’est d’abord efforcé de se faire aimer, mais il manque d’autorité ; les enfants en profitent ; ils prennent pour de la faiblesse son indulgence et s’émancipent étrangement. La Pérouse tâchera de sévir, mais trop tard : ses admonestations, ses menaces, ses réprimandes, achèvent d’indisposer contre lui les élèves. S’il grossit la voix, ils ricanent ; s’il tape du poing sur le pupitre sonore, ils poussent des cris de feinte terreur ; on l’imite ; on l’appelle « le père Lapère » ; de banc en banc, des caricatures de lui circulent, qui le représentent, lui si débonnaire, féroce, armé d’un pistolet énorme (ce pistolet que Ghéridanisol, Georges et Phiphi ont su découvrir au cours d’une indiscrète perquisition dans sa chambre), faisant un grand massacre d’élèves ; ou, prosterné devant ceux-ci, les mains jointes, implorant, comme il faisait les premiers