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tion, pour être ajournée, ne se poserait à moi que plus gravement après mon service. Alors je suis venu vous trouver pour écouter votre conseil.

— Je n’ai pas à vous en donner. Vous ne pouvez trouver ce conseil qu’en vous-même, ni apprendre comment vous devez vivre, qu’en vivant.

— Et si je vis mal, en attendant d’avoir décidé comment vivre ?

— Ceci même vous instruira. Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant.

— Plaisantez-vous ?… Non ; je crois que je vous comprends, et j’accepte cette formule. Mais tout en me développant, comme vous dites, il va me falloir gagner ma vie. Que penseriez-vous d’une reluisante annonce dans les journaux : « Jeune homme de grand avenir, employable à n’importe quoi. »

Édouard se mit à rire.

— Rien de plus difficile à obtenir que n’importe quoi. Mieux vaudrait préciser.

— Je pensais à quelqu’un de ces nombreux petits rouages dans l’organisation d’un grand journal. Oh ! j’accepterais un poste subalterne : correcteur d’épreuves, prote… que sais-je ? J’ai besoin de si peu !

Il parlait avec hésitation. En vérité, c’est une place de secrétaire qu’il souhaitait ; mais il craignait de le dire à Édouard, à cause de leur déconvenue réciproque. Après tout, ce n’était pas sa faute, à lui, Bernard, si cette tentative de secrétariat avait si piteusement échoué.

— Je pourrai peut-être, dit Édouard, vous faire