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de leur conversation qu’il jugeait propre à le toucher. — Ce n’est pas chez moi que vous devriez coucher ce soir, mais chez lui. Il vous attend.

Bernard cependant se taisait.

— Je vais y réfléchir, dit-il enfin. Permettez, en attendant, que je laisse ici mes affaires. Puis-je voir Olivier ?

— Le temps est si beau que je l’ai engagé à prendre l’air. Je voulais l’accompagner, car il est encore très faible ; mais il a préféré sortir seul. Du reste, il est parti depuis une heure et ne tardera pas à rentrer. Attendez-le… Mais, j’y pense… et votre examen ?

— Je suis reçu ; cela n’a pas d’importance. Ce qui m’importe, c’est ce que je vais faire à présent. Savez-vous ce qui me retient surtout de retourner chez mon père ? C’est que je ne veux pas de son argent. Vous me trouvez sans doute absurde de faire fi de cette chance ; mais c’est une promesse que je me suis faite à moi-même, de m’en passer. Il m’importe de me prouver que je suis homme de parole, quelqu’un sur qui je peux compter.

— Je vois surtout là de l’orgueil.

— Appelez cela du nom qu’il vous plaira : orgueil, présomption, suffisance… Le sentiment qui m’anime, vous ne le discréditerez pas à mes yeux. Mais, à présent, voici ce que je voudrais savoir : pour se diriger dans la vie, est-il nécessaire de fixer les yeux sur un but ?

— Expliquez-vous.

— J’ai débattu cela toute la nuit. À quoi faire