Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/448

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la misère. Le soir tombait. Ils errèrent longtemps entre de hautes maisons sordides qu’habitaient la maladie, la prostitution, la honte, le crime et la faim. C’est alors seulement que Bernard prit la main de l’ange, et l’ange se détournait de lui pour pleurer.

Bernard ne dîna pas ce soir-là ; et quand il rentra à la pension, il ne chercha pas à rejoindre Sarah, ainsi qu’il avait fait les autres soirs, mais monta tout droit à cette chambre qu’il occupait avec Boris.

Boris était déjà couché, mais ne dormait pas encore. Il relisait, à la clarté d’une bougie, la lettre qu’il avait reçue de Bronja le matin même de ce jour.

« Je crains, lui disait son amie, de ne jamais plus te revoir. J’ai pris froid à mon retour en Pologne. Je tousse ; et bien que le médecin me le cache, je sens que je ne peux plus vivre longtemps. »

En entendant approcher Bernard, Boris cacha la lettre sous son oreiller et souffla précipitamment sa bougie.

Bernard s’avança dans le noir. L’ange était entré dans la chambre avec lui, mais bien que la nuit ne fût pas très obscure, Boris ne voyait que Bernard.

— Dors-tu ? demanda Bernard à voix basse. Et comme Boris ne répondait pas, Bernard en conclut qu’il dormait.

— Alors, maintenant, à nous deux, dit Bernard à l’ange.