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Bernard tourna la tête. L’ange était de nouveau près de lui.

— Il va falloir se décider, disait-il. Tu n’as vécu qu’à l’aventure. Laisseras-tu disposer de toi le hasard ? Tu veux servir à quelque chose. Il importe de savoir à quoi.

— Enseigne-moi ; guide-moi, dit Bernard.

L’ange mena Bernard dans une salle emplie de monde. Au fond de la salle était une estrade, et sur cette estrade une table recouverte d’un tapis grenat. Assis derrière la table, un homme encore jeune parlait.

— C’est une bien grande folie, disait-il, que de prétendre rien découvrir. Nous n’avons rien que nous n’ayons reçu. Chacun de nous se doit de comprendre, encore jeune, que nous dépendons d’un passé et que ce passé nous oblige. Par lui, tout notre avenir est tracé.

Quand il eut achevé de développer ce thème, un autre orateur prit sa place et commença par l’approuver, puis s’éleva contre le présomptueux qui prétend vivre sans doctrine, ou se guider lui-même et d’après ses propres clartés.

— Une doctrine nous est léguée, disait-il. Elle a déjà traversé bien des siècles. C’est la meilleure assurément et c’est la seule ; chacun de nous se doit de le prouver. C’est celle que nous ont transmis nos maîtres. C’est celle de notre pays, qui, chaque fois qu’il la renie, doit payer chèrement son erreur. L’on ne peut être bon Français sans la connaître, ni réussir rien de bon sans s’y ranger.