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Bernard, lorsqu’il le vit s’agenouiller, s’agenouilla de même auprès de lui. Il ne croyait à aucun dieu, de sorte qu’il ne pouvait prier ; mais son cœur était envahi d’un amoureux besoin de don, de sacrifice ; il s’offrait. Son émotion demeurait si confuse qu’aucun mot ne l’eût exprimée ; mais soudain le chant de l’orgue s’éleva.

— Tu t’offrais de même à Laura, dit l’ange ; et Bernard sentit sur ses joues ruisseler des larmes. — Viens, suis-moi.

Bernard, tandis que l’ange l’entraînait, se heurta presque à un de ses anciens camarades qui venait de passer lui aussi son oral. Bernard le tenait pour un cancre et s’étonnait qu’on l’eût reçu. Le cancre n’avait pas remarqué Bernard, qui le vit glisser dans la main du bedeau de l’argent pour payer un cierge. Bernard haussa les épaules et sortit.

Quand il se retrouva dans la rue, il s’aperçut que l’ange l’avait quitté. Il entra dans un bureau de tabac, celui précisément où Georges, huit jours plus tôt, avait risqué sa fausse pièce. Il en avait fait passer bien d’autres depuis. Bernard acheta un paquet de cigarettes et fuma. Pourquoi l’ange était-il parti ? Bernard et lui n’avaient-ils donc rien à se dire ?… Midi sonna. Bernard avait faim. Rentrerait-il à la pension ? Irait-il rejoindre Olivier, partager avec lui le déjeuner d’Édouard ?… Il s’assura d’avoir assez d’argent en poche et entra dans un restaurant. Comme il achevait de manger, une voix douce murmura :

— Le temps est venu de faire tes comptes.