Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/443

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bernard entra dans le jardin du Luxembourg. Il s’assit sur un banc, dans cette même partie du jardin où il était venu retrouver Olivier le soir où il cherchait asile. L’air était presque tiède et l’azur lui riait à travers les rameaux déjà dépouillés des grands arbres. On doutait si vraiment on s’acheminait vers l’hiver ; des oiseaux roucoulants s’y trompaient. Mais Bernard ne regardait pas le jardin ; il voyait devant lui l’océan de la vie s’étendre. On dit qu’il est des routes sur la mer ; mais elles ne sont pas tracées, et Bernard ne savait quelle était la sienne.

Il méditait depuis quelques instants, lorsqu’il vit s’approcher de lui, glissant et d’un pied si léger qu’on sentait qu’il eût pu poser sur les flots, un ange. Bernard n’avait jamais vu d’anges, mais il n’hésita pas un instant, et lorsque l’ange lui dit : « Viens », il se leva docilement et le suivit. Il n’était pas plus étonné qu’il ne l’eût été dans un rêve. Il chercha plus tard à se souvenir si l’ange l’avait pris par la main ; mais en réalité ils ne se touchèrent point et même gardaient entre eux un peu de distance. Ils retournèrent tous deux dans cette cour où Bernard avait laissé l’orphelin, bien résolus à lui parler ; mais la cour à présent était vide.

Bernard s’achemina, l’ange l’accompagnant, vers l’église de la Sorbonne, où l’ange entra d’abord, où Bernard n’était jamais entré. D’autres anges circulaient dans ce lieu ; mais Bernard n’avait pas les yeux qu’il fallait pour les voir. Une paix inconnue l’enveloppait. L’ange approcha du maître-autel et