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tout de même pas le rater. Je crois que je suis prêt ; c’est plutôt une question de ne pas être fatigué ce jour-là. Il faut que je me tire d’affaire très vite. C’est un peu risqué ; mais… je m’en tirerai ; tu verras.

Ils restent un instant silencieux. La seconde babouche est tombée. Bernard :

— Tu vas prendre froid. Recouche-toi.

— Non, c’est toi qui vas te coucher.

— Tu plaisantes ! Allons, vite — et il force Olivier à rentrer dans le lit défait.

— Mais toi ? Où vas-tu dormir ?

— N’importe où. Par terre. Dans un coin. Il faut bien que je m’habitue.

— Non, écoute. Je veux te dire quelque chose, mais je ne pourrai pas si je ne te sens pas tout près de moi. Viens dans mon lit. Et après que Bernard, qui s’est en un instant dévêtu, l’a rejoint : — Tu sais, ce que je t’avais dit l’autre fois… Ça y est. J’y ai été.

Bernard comprend à demi-mot. Il presse contre lui son ami, qui continue :

— Eh bien ! mon vieux, c’est dégoûtant. C’est horrible… Après, j’avais envie de cracher, de vomir, de m’arracher la peau, de me tuer.

— Tu exagères.

— Ou de la tuer, elle…

— Qui était-ce ? Tu n’as pas été imprudent, au moins ?

— Non, c’est une gonzesse que Dhurmer connaît bien ; à qui il m’avait présenté. C’est surtout sa