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que sa mère m’a quitté… oui, définitivement, cet été ; et que, si lui, voulait revenir, je…

« Il ne put achever.

« Un gros homme robuste, positif, établi dans la vie, solidement assis dans sa carrière, qui soudain renonçant à tout décorum, s’ouvre et répand devant un étranger, donne à celui-ci que j’étais un spectacle bien extraordinaire. J’ai pu constater une fois de plus à cette occasion que je suis plus aisément ému par les effusions d’un inconnu que par celles d’un familier. Chercherai à m’expliquer là-dessus un autre jour.

« Profitendieu ne me cacha pas les préventions qu’il nourrissait d’abord à mon égard, s’étant mal expliqué, s’expliquant mal encore, que Bernard ait déserté son foyer pour me rejoindre. C’était ce qui l’avait retenu d’abord de chercher à me voir. Je n’osai point lui raconter l’histoire de ma valise et ne parlai que de l’amitié de son fils pour Olivier, à la faveur de laquelle, lui dis-je, nous nous étions vite liés.

« — Ces jeunes gens, reprenait Profitendieu, s’élancent dans la vie sans savoir à quoi ils s’exposent. L’ignorance des dangers fait leur force, sans doute. Mais nous qui savons, nous les pères, nous tremblons pour eux. Notre sollicitude les irrite, et le mieux est de ne pas trop la leur laisser voir. Je sais qu’elle s’exerce bien importunément et maladroitement quelquefois. Plutôt que répéter sans cesse à l’enfant que le feu brûle, consentons à le laisser un peu se brûler. L’expérience instruit plus sûrement