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assez bien faite… Je sais également qu’il se présente aujourd’hui même à son oral. J’ai choisi le moment où je savais qu’il devait être à la Sorbonne pour venir vous voir. Je craignais de le rencontrer.

« Depuis quelques instants, mon émotion fléchissait, car je venais de m’apercevoir que le verbe « savoir » figurait dans presque toutes ses phrases. Je devins aussitôt moins soucieux de ce qu’il me disait que d’observer ce pli qui pouvait être professionnel.

« Il me dit « savoir » également que Bernard avait très brillamment passé son écrit. La complaisance d’un examinateur, qui se trouve être de ses amis, l’avait mis à même de prendre connaissance de la composition française de son fils, qui, paraît-il, était des plus remarquables. Il parlait de Bernard avec une sorte d’admiration contenue qui me faisait douter si peut-être, après tout, il ne se croyait pas son vrai père.

« — Seigneur ! ajoutait-il, n’allez surtout pas lui raconter cela ! Il est de naturel si fier, si ombrageux !… S’il se doutait que, depuis son départ, je n’ai pas cessé de penser à lui, de le suivre… Mais tout de même, ce que vous pouvez lui dire, c’est que vous m’avez vu. (Il respirait péniblement entre chaque phrase). — Ce que vous seul pouvez lui dire, c’est que je ne lui en veux pas, (puis d’une voix qui faiblissait :) que je n’ai jamais cessé de l’aimer… comme un fils. Oui, je sais bien que vous savez… Ce que vous pouvez lui dire aussi… (et, sans me regarder, avec difficulté, dans un état de confusion extrême :) c’est