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« J’en ai connu, d’une autre sorte encore, qui se forgent assidûment une consciente originalité, et dont le principal souci consiste, après avoir fait choix de quelques us, à ne s’en jamais départir ; qui demeurent sur le qui-vive et ne se permettent pas d’abandon. (Je songe à X, qui refusait son verre au Montrachet 1904 que je lui offrais : « Je n’aime que le Bordeaux », disait-il. Dès que je l’eus fait passer pour du Bordeaux, le Montrachet lui parut délectable.)

« Lorsque j’étais plus jeune, je prenais des résolutions, que je m’imaginais vertueuses. Je m’inquiétais moins d’être qui j’étais, que de devenir qui je prétendais être. À présent, peu s’en faut que je ne voie dans l’irrésolution le secret de ne pas vieillir.

« Olivier m’a demandé à quoi je travaillais. Je me suis laissé entraîner à lui parler de mon livre, et même à lui lire, tant il semblait intéressé, les pages que je venais d’écrire. Je redoutais son jugement, connaissant l’intransigeance de la jeunesse et la difficulté qu’elle éprouve à admettre un autre point de vue que le sien. Mais les quelques remarques qu’il a craintivement hasardées m’ont paru des plus judicieuses, au point que j’en ai tout aussitôt profité.

« C’est par lui, c’est à travers lui que je sens et que je respire.

« Il garde de l’inquiétude au sujet de cette revue qu’il devait diriger, et particulièrement de ce conte qu’il désavoue, écrit sur la demande de Passavant.