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l’obsède. Mais un Douviers, pour devenir jaloux doit se figurer qu’il doit l’être.

« Et sans doute entretient-il en lui cette passion par un secret besoin de corser son personnage un peu mince. Le bonheur lui serait naturel ; mais il a besoin de s’admirer et c’est l’obtenu, non le naturel, qu’il estime. Je me suis donc évertué à lui peindre le simple bonheur plus méritoire que le tourment, et très difficile à atteindre. Ne l’ai laissé partir que rasséréné.

« Inconséquence des caractères. Les personnages qui, d’un bout à l’autre du roman ou du drame, agissent exactement comme on aurait pu le prévoir… On propose à notre admiration cette constance, à quoi je reconnais au contraire qu’ils sont artificiels et construits.

« Et je ne prétends pas que l’inconséquence soit l’indice certain du naturel, car l’on rencontre, et particulièrement parmi les femmes, bien des inconséquences affectées ; d’autre part, je peux admirer, chez quelques rares, ce que l’on appelle « l’esprit de suite » ; mais, le plus souvent, cette conséquence de l’être n’est obtenue que par un cramponnement vaniteux et qu’aux dépens du naturel. L’individu, plus il est de fonds généreux et plus ses possibilités foisonnent, plus il reste dispos à changer, moins volontiers il laisse son passé décider de son avenir.

Le « justum et tenacem propositi virum » que l’on nous propose en modèle, n’offre le plus souvent qu’un sol rocheux et réfractaire à la culture.