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CHAPITRE XII


Journal d’Édouard


« Rapporté à Olivier ses affaires. Sitôt de retour de chez Passavant, travail. Exaltation calme et lucide. Joie inconnue jusqu’à ce jour. Écrit trente pages des Faux-Monnayeurs, sans hésitation, sans ratures. Comme un paysage nocturne à la lueur soudaine d’un éclair, tout le drame surgit de l’ombre, très différent de ce que je m’efforçais en vain d’inventer. Les livres que j’ai écrits jusqu’à présent me paraissent comparables à ces bassins des jardins publics, d’un contour précis, parfait peut-être, mais où l’eau captive est sans vie. À présent, je la veux laisser couler selon sa pente, tantôt rapide et tantôt lente, en des lacis que je me refuse à prévoir.

« X. soutient que le bon romancier doit, avant de commencer son livre, savoir comment ce livre finira. Pour moi, qui laisse aller le mien à l’aventure, je considère que la vie ne nous propose jamais-rien qui, tout autant qu’un aboutissement, ne puisse être considéré comme un nouveau point de départ. « Pourrait être continué »… c’est sur ces mots que je voudrais terminer mes Faux-Monnayeurs.