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— Vous ne serez compris par personne, et personne ne vous suivra.

— Allons donc ! Les jeunes gens les plus dégourdis sont prévenus de reste aujourd’hui contre l’inflation poétique. Ils savent ce qui se cache de vent derrière les rythmes savants et les sonores rengaines lyriques. Qu’on propose de démolir, et l’on trouvera toujours des bras. Voulez-vous que nous fondions une école qui n’aura d’autre but que de tout jeter bas ?… Ça vous fait peur ?

— Non… si l’on ne piétine pas mon jardin.

— On a de quoi s’occuper ailleurs… en attendant. L’heure est propice. J’en connais qui n’attendent qu’un signe de ralliement ; des tout jeunes… Oui, cela vous plait, je sais ; mais je vous avertis qu’ils ne s’en laisseront pas conter… Je me suis souvent demandé par quel prodige la peinture était en avance, et comment il se faisait que la littérature se soit ainsi laissée distancer ? Dans quel discrédit, aujourd’hui, tombe ce que l’on avait coutume de considérer, en peinture, comme « le motif » ! Un beau sujet ! cela fait rire. Les peintres n’osent même plus risquer un portrait, qu’à condition d’éluder toute ressemblance. Si nous menons à bien notre affaire, et vous pouvez compter sur moi pour cela, je ne demande pas deux ans pour qu’un poète de demain se croie déshonoré si l’on comprend ce qu’il veut dire. Oui, Monsieur le comte ; voulez-vous parier ? Seront considérés comme antipoétiques, tout sens, toute signification. Je propose d’œuvrer à la faveur