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lagement à ses misères, dans la charité un palliatif, dans la religion une consolation, et dans les ivresses l’oubli. C’est l’amélioration de la race, à laquelle il faut travailler. Mais toute sélection implique la suppression des malvenus, et c’est à quoi notre chrétienne de société ne saurait se résoudre. Elle ne sait même pas prendre sur elle de châtrer les dégénérés ; et ce sont les plus prolifiques. Ce qu’il faudrait, ce ne sont pas des hôpitaux, c’est des haras.

— Parbleu, vous me plaisez ainsi, Strouvilhou.

— Je crains que vous ne vous soyez mépris sur moi jusqu’à présent, Monsieur le comte. Vous m’avez pris pour un sceptique et je suis un idéaliste, un mystique. Le scepticisme n’a jamais donné rien de bon. On sait de reste où il mène… à la tolérance ! Je tiens les sceptiques pour des gens sans idéal, sans imagination ; pour des sots… Et je n’ignore pas tout ce que supprimerait de délicatesses et de subtilités sentimentales, la production de cette humanité robuste ; mais personne ne serait plus là pour les regretter, ces délicatesses, puisque avec elles on aurait supprimé les délicats. Ne vous y trompez pas, j’ai ce qu’on appelle : de la culture, et sais bien que mon idéal, certains Grecs l’avaient entrevu ; du moins j’ai plaisir à me l’imaginer, et à me souvenir que Coré, fille de Cérès, descendit aux Enfers pleine de pitié pour les ombres ; mais que, devenue reine, épouse de Pluton, elle n’est plus nommée par Homère que « l’implacable Proserpine ». Voir Odyssée, chant sixième. « Implacable » ; c’est