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Palissy (nous a-t-on assez rasé avec celui-là !) brûlant femme et enfants, et lui-même, pour obtenir le vernis d’un beau plat. J’aime à retourner les problèmes ; que voulez-vous, j’ai l’esprit ainsi fait qu’ils y tiennent en meilleur équilibre, la tête en bas. Et si je ne puis supporter la pensée d’un Christ se sacrifiant pour le salut ingrat de tous ces gens affreux que je coudoie, je trouve quelque satisfaction, et même une sorte de sérénité, à imaginer cette tourbe pourrissant pour produire un Christ… encore que je préférerais autre chose, car tout l’enseignement de Celui-ci n’a servi qu’à enfoncer l’humanité un peu plus avant dans le gâchis. Le malheur vient de l’égoïsme des féroces. Une férocité dévouée, voilà qui produirait de grandes choses. En protégeant les malheureux, les faibles, les rachitiques, les blessés, nous faisons fausse route ; et c’est pourquoi je hais la religion qui nous l’enseigne. La grande paix que les philanthropes eux-mêmes prétendent puiser dans la contemplation de la nature, faune et flore, vient de ce qu’à l’état sauvage, seuls les êtres robustes prospèrent ; tout le reste, déchet, sert d’engrais. Mais on ne sait pas voir cela ; on ne veut pas le reconnaître.

— Si fait ; si fait ; je le reconnais volontiers. Continuez.

— Et dites si ce n’est pas honteux, misérable… que l’homme ait tant fait pour obtenir des races superbes de chevaux, de bétail, de volailles, de céréales, de fleurs, et que lui-même, pour lui-même, en soit encore à chercher dans la médecine un sou-