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aujourd’hui un vrai poste de dictateur. Hâtons-nous d’ajouter qu’il ne s’agit que de littérature.

— Tant pis. Puis, comme Passavant lui tendait son étui à cigarettes : — Si vous permettez, je préfère…

— Je ne permets pas du tout. Avec vos affreux cigares de contrebande, vous allez m’empester la pièce. Je n’ai jamais compris le plaisir qu’on pouvait trouver à fumer ça.

— Oh ! je ne peux pas dire que j’en raffole. Mais ça incommode les voisins.

— Toujours frondeur ?

— Il ne faudrait pourtant pas me prendre pour an imbécile.

Et sans répondre directement à la proposition de Passavant, Strouvilhou crut séant de s’expliquer et de bien établir ses positions ; l’on verrait ensuite. Il continua :

— La philanthropie n’a jamais été mon fort.

— Je sais, je sais, dit Passavant.

— L’égoïsme non plus. Et c’est ça que vous ne savez pas bien… On voudrait nous faire croire qu’il n’est pour l’homme d’autre échappement à l’égoïsme, qu’un altruisme plus hideux encore ! Quant à moi, je prétends que s’il y a quelque chose de plus méprisable que l’homme, et de plus abject, c’est beaucoup d’hommes. Aucun raisonnement ne saurait me convaincre que l’addition d’unités sordides puisse donner un total exquis. Il ne m’arrive pas de monter dans un tram ou dans un train sans souhaiter un bel accident qui réduise en bouillie toute