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pas les corps à corps. Avec le beau temps, c’est devenu féroce. Ah ! je sais à présent ce que c’est que d’éprouver de la passion pour quelqu’un… »

La lettre était encore longue.

— Je n’ai pas besoin d’en lire plus, dit Édouard en la rendant à Passavant. Quand revient-il ?

— Lady Griffith ne parle pas de retour.

Passavant était mortifié qu’Édouard ne montrât pas plus d’appétit pour cette lettre. Du moment qu’il lui permettait de la lire, il devait prendre cette incuriosité comme un affront. Il repoussait volontiers les offres, mais supportait mal que les siennes fussent dédaignées. Cette lettre l’avait empli d’aise. Il nourrissait certaine affection pour Lilian et pour Vincent ; même, il s’était prouvé qu’il pouvait être obligeant pour eux, secourable ; mais son affection faiblissait aussitôt qu’on se passait d’elle. Qu’en le quittant, ses deux amis n’eussent pas cinglé vers le bonheur, voici qui l’invitait à penser : c’est bien fait.

Quant à Édouard, sa félicité matinale était trop sincère pour qu’il pût, devant la peinture des sentiments forcenés, ne pas éprouver de la gêne. C’est sans affectation aucune qu’il avait rendu la lettre.

Il importait à Passavant de reprendre aussitôt la main :

— Ah ! je voulais vous dire encore : vous savez que j’avais pensé à Olivier pour la direction d’une revue ? Naturellement, il n’en est plus question.

— Cela va sans dire, riposta Édouard, que Passa-