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— Tu trouves que j’aurais dû leur demander la permission, hein ?

Le ton de sa voix était si froidement ironique qu’Olivier sentit aussitôt l’absurdité de sa question. Il n’a pas encore compris que Bernard est parti « pour de bon » ; il croit qu’il n’a l’intention de découcher que ce seul soir et ne s’explique pas bien le motif de cette équipée. Il l’interroge : — Quand Bernard compte-t-il rentrer ? — Jamais ! — Le jour se fait dans l’esprit d’Olivier. Il a grand souci de se montrer à la hauteur des circonstances et ne se laisser surprendre par rien ; pourtant un : « C’est énorme, ce que tu fais là » lui échappe.

Il ne déplaît pas à Bernard d’étonner un peu son ami ; il est surtout sensible à ce qui perce d’admiration dans cette interjection ; mais il hausse de nouveau les épaules. Olivier lui a pris la main ; il est très grave ; il demande anxieusement :

— Mais… pourquoi t’en vas-tu ?

— Ah ! ça, mon vieux, c’est des affaires de famille. Je ne peux pas te le dire. Et pour ne pas avoir l’air trop sérieux, il s’amuse, du bout de son soulier, à faire tomber la babouche qu’Olivier balance au bout de son pied, car ils se sont assis au bord du lit.

— Alors où vas-tu vivre ?

— Je ne sais pas.

— Et avec quoi ?

— On verra ça.

— Tu as de l’argent ?

— De quoi déjeuner demain,