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CHAPITRE XI


Bernard, ce matin-là, vint de bonne heure. Olivier dormait encore. Bernard, ainsi qu’il avait fait les jours précédents, s’installa au chevet de son ami avec un livre, ce qui permit à Édouard d’interrompre sa garde et de se rendre chez le comte de Passavant, ainsi qu’il avait promis de le faire. À cette heure matinale, on était sûr de le trouver.

Le soleil brillait ; un air vif nettoyait les arbres de leurs dernières feuilles ; tout paraissait limpide, azuré. Édouard n’était pas sorti de trois jours. Une immense joie dilatait son cœur ; et même il lui semblait que tout son être, enveloppe ouverte et vidée, flottait sur une mer indivise, un divin océan de bonté. L’amour et le beau temps illimitent ainsi nos contours.

Édouard savait qu’il lui faudrait une auto pour rapporter les affaires d’Olivier ; mais il ne se pressait pas de la prendre ; il prenait plaisir à marcher. L’état de bienveillance où il se sentait vis-à-vis de la nature entière, le disposait mal à affronter Passavant. Il se disait qu’il devait l’exécrer ; il repassait en son esprit tous ses griefs, mais il n’en sentait plus