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LES FAUX-MONNAYEURS

engagé à les aller rechercher moi-même dès demain. Il craignait, à ce qu’il m’a semblé, que Passavant ne les retînt comme un otage ; ce que je ne puis admettre un seul instant.

« Hier, je m’attardais dans l’atelier après avoir écrit ces pages, lorsque j’ai entendu Olivier m’appeler. J’ai bondi jusqu’à lui.

« — C’est moi qui serais venu, si je n’étais trop faible, m’a-t-il dit. J’ai voulu me lever ; mais, quand je suis debout, la tête me tourne et j’ai craint de tomber. Non, non, je ne me sens pas plus mal ; au contraire… Mais j’avais besoin de te parler.

« Il faut que tu me promettes quelque chose… De ne jamais chercher à savoir pourquoi j’ai voulu me tuer avant-hier. Je crois que je ne le sais plus moi-même. Je voudrais le dire, vrai ! je ne le pourrais pas… Mais il ne faut pas que tu penses que c’est à cause de quelque chose de mystérieux dans ma vie, quelque chose que tu ne connaîtrais pas. Puis, d’une voix plus basse : — Non plus, ne va pas t’imaginer que c’est par honte…

« Bien que nous fussions dans l’obscurité, il cachait son front dans mon épaule.

« — Ou si j’ai honte, c’est de ce banquet de l’autre soir ; de mon ivresse, de mon emportement, de mes larmes ; et de ces mois d’été ; … et de t’avoir si mal attendu.

« Puis il protesta qu’en rien de tout cela il ne consentait plus à se reconnaître ; que c’était tout cela