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LES FAUX-MONNAYEURS

le monopole. Je ne puis pourtant pas feindre avec vous plus de réprobation que je n’en éprouve. La vie m’a instruite. J’ai compris combien la pureté des garçons restait précaire, alors même qu’elle paraissait le mieux préservée. De plus, je ne crois pas que les plus chastes adolescents fassent plus tard les maris les meilleurs ; ni même, hélas, les plus fidèles, ajouta-t-elle en souriant tristement. Enfin, l’exemple de leur père m’a fait souhaiter d’autres vertus pour mes fils. Mais j’ai peur pour eux de la débauche, ou des liaisons dégradantes. Olivier se laisse facilement entraîner. Vous aurez à cœur de le retenir. Je crois que vous pourrez lui faire du bien. Il ne tient qu’à vous…

« De telles paroles m’emplissaient de confusion.

« — Vous me faites meilleur que je ne suis.

« C’est tout ce que je pus trouver à dire, de la manière la plus banale et la plus empruntée. Elle reprit avec une délicatesse exquise :

« — C’est Olivier qui vous fera meilleur. Que n’obtient-on pas de soi, par amour ?

« — Oscar le sait-il près de moi ? demandai-je pour mettre un peu d’air entre nous.

« — Il ne le sait même pas à Paris. Je vous ai dit qu’il ne s’occupe pas beaucoup de ses fils. C’est pourquoi je comptais sur vous pour parler à Georges. L’aurez-vous fait ?

« — Non ; pas encore.

« Le front de Pauline s’était assombri brusquement.

« — Je m’inquiète de plus en plus. Il a pris un air