Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/406

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dominer l’état lyrique ; mais il importe, pour le dominer, de l’avoir éprouvé d’abord.

— Ne pensez-vous pas que cet état de visitation divine est explicable physiologiquement par…

— La belle avance ! interrompit Édouard. De telles considérations, pour être exactes, ne sont propres qu’à gêner les sots. Il n’est certes pas un mouvement mystique qui n’ait son répondant matériel. Et après ? L’esprit, pour témoigner, ne peut point se passer de la matière. De là le mystère de l’incarnation.

— Par contre, la matière se passe admirablement de l’esprit.

— Ça, nous n’en savons rien, dit Édouard en riant.

Bernard était fort amusé de l’entendre parler ainsi. D’ordinaire Édouard se livrait peu. L’exaltation qu’il laissait paraître aujourd’hui lui venait de la présence d’Olivier. Bernard le comprit.

— Il me parle comme il voudrait déjà lui parler, pensa-t-il. C’est d’Olivier qu’il devrait faire son secrétaire. Dès qu’Olivier sera guéri, je me retirerai ; ma place est ailleurs.

Il pensait cela sans amertume, tout occupé désormais par Sarah, qu’il avait revue la nuit dernière et s’apprêtait à retrouver cette nuit.

— Nous voici bien loin de Douviers, reprit-il en riant à son tour. Lui parlerez-vous de Vincent ?

— Parbleu non. À quoi bon ?

— Ne pensez-vous pas que c’est empoisonnant