Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/405

Cette page a été validée par deux contributeurs.

par regrets de sa faute, par repentir, Laura voulait s’humilier devant lui ; mais lui se prosternait aussitôt plus bas qu’elle ; tout ce que l’un et l’autre en faisaient ne parvenait qu’à le rapetisser, qu’à la grandir.

— Je le plains beaucoup, dit Bernard. Mais pourquoi n’admettez-vous pas que lui aussi, dans ce prosternement, se grandisse ?

— Parce qu’il manque de lyrisme, dit Édouard irréfutablement.

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’il ne s’oublie jamais dans ce qu’il éprouve, de sorte qu’il n’éprouve jamais rien de grand. Ne me poussez pas trop là-dessus. J’ai mes idées ; mais qui répugnent à la toise et que je ne cherche pas trop à mesurer. Paul-Ambroise a coutume de dire qu’il ne consent à tenir compte de rien qui ne se puisse chiffrer ; ce en quoi j’estime qu’il joue sur le mot « tenir compte » ; car, « à ce compte-là » comme on dit, on est forcé d’omettre Dieu. C’est bien là où il tend et ce qu’il désire… Tenez : je crois que j’appelle lyrisme l’état de l’homme qui consent à se laisser vaincre par Dieu.

— N’est-ce pas là précisément ce que signifie le mot : enthousiasme ?

— Et peut-être le mot : inspiration. Oui, c’est bien là ce que je veux dire : Douviers est un être incapable d’inspiration. Je consens que Paul-Ambroise ait raison lorsqu’il considère l’inspiration comme des plus préjudiciables à l’art ; et je crois volontiers qu’on n’est artiste qu’à condition de