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TROISIÈME PARTIE

avoir écrit plus tôt pour vous redire toute la reconnaissance que je garde de votre dévouement et des soins que vous m’avez prodigués durant notre séjour en Suisse. Le souvenir de ce temps me réchauffe et m’aide à supporter la vie.

« Votre amie toujours inquiète et toujours confiante,

« Laura. »

— « Que comptez-vous faire ? demanda Bernard en rendant la lettre.

— Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? répondit Édouard un peu agacé, non point tant par la question de Bernard, que parce qu’il se l’était déjà posée. — S’il vient, je l’accueillerai de mon mieux. Je le conseillerai de mon mieux s’il me consulte ; et tâcherai de le persuader qu’il n’a rien de mieux à faire que de se tenir tranquille. Des gens comme ce pauvre Douviers ont toujours tort de chercher à se mettre en avant. Vous penseriez de même si vous le connaissiez, croyez-moi. Laura, elle, était née pour les premiers rôles. Chacun de nous assume un drame à sa taille, et reçoit son contingent de tragique. Qu’y pouvons-nous ? Le drame de Laura, c’est d’avoir épousé un comparse. Il n’y a rien à faire à cela.

— Et le drame de Douviers, c’est d’avoir épousé quelqu’un qui restera supérieur à lui, quoi qu’il fasse, reprit Bernard.

— Quoi qu’il fasse… reprit Édouard en écho, — et quoi que puisse faire Laura. L’admirable, c’est que,