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C’était Bernard et Lucien Bercail. Édouard les retint dans le vestibule et les avertit ; puis, prenant Bernard à part, lui demanda s’il savait qu’Olivier fût sujet à des étourdissements, à des crises ?… Bernard tout à coup se souvint de leur conversation de la veille, et en particulier de certains mots d’Olivier, qu’il avait à peine écoutés, mais qu’il réentendait à présent d’une manière distincte.

— C’est moi qui lui parlais de suicide, dit-il à Édouard. Je lui demandais s’il comprenait qu’on puisse se tuer par simple excès de vie, « par enthousiasme », comme disait Dmitri Karamazov. J’étais tout absorbé dans ma pensée et je n’ai fait attention alors qu’à mes propres paroles ; mais je me rappelle à présent ce qu’il m’a répondu.

— Qu’a-t-il donc répondu ? insista Édouard, car Bernard s’arrêtait et semblait ne pas vouloir en dire davantage.

— Qu’il comprenait qu’on se tuât, mais seulement après avoir atteint un tel sommet de joie, que l’on ne puisse, après, que redescendre.

Tous deux, sans plus ajouter rien, se regardèrent. Le jour se faisait dans leur esprit. Édouard enfin détourna les yeux ; et Bernard s’en voulut d’avoir parlé. Ils se rapprochèrent de Bercail.

— L’ennuyeux, dit alors celui-ci, c’est qu’on pourra croire qu’il a voulu se tuer pour éviter d’avoir à se battre.

Édouard ne songeait plus à ce duel.

— Faites comme si de rien n’était, dit-il. Allez trouver Dhurmer et demandez-lui de vous mettre