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ce qu’il se souvenait qu’en cas d’asphyxie l’on doit faire, se désolant de ne pouvoir faire tout à la fois. Olivier gardait les yeux fermés. Édouard souleva du doigt les paupières, qui retombèrent sur un regard sans vie. Pourtant le cœur battait. Il chercha vainement du cognac, des sels. Il avait fait chauffer de l’eau, lavé le haut du corps et le visage. Puis il coucha ce corps inerte sur le divan et rabattit sur lui les couvertures. Il aurait voulu appeler un médecin, mais n’osait s’éloigner. Une servante venait chaque matin faire le ménage ; mais elle n’arrivait qu’à neuf heures. Dès qu’il l’entendit, il l’envoya à la recherche d’un médicastre de quartier ; puis aussitôt la rappela, craignant de s’exposer à une enquête.

Olivier, cependant, revenait lentement à la vie. Édouard s’était assis à son chevet, près du divan. Il contemplait ce visage clos et s’achoppait à son énigme. Pourquoi ? Pourquoi ? On peut agir inconsidérément le soir, dans l’ivresse ; mais les résolutions du petit matin portent leur plein chargement de vertu. Il renonçait à rien comprendre en attendant le moment où Olivier pourrait enfin lui parler. Il ne le quitterait plus d’ici-là. Il avait pris une de ses mains et concentrait son interrogation, sa pensée, sa vie entière, dans ce contact. Enfin il lui sembla sentir la main d’Olivier répondre faiblement à l’étreinte… Alors il se courba, posa ses lèvres sur ce front que plissait une immense et mystérieuse douleur.

On sonna. Édouard se leva pour aller ouvrir.