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CHAPITRE IX


Armand s’est étendu tout habillé. Il sait qu’il ne pourra dormir. Il attend la fin de la nuit. Il médite. Il écoute. La maison repose, la ville, la nature entière ; pas un bruit.

Dès qu’une faible clarté, que le réflecteur rabat du haut du ciel étroit dans sa chambre, lui permet d’en distinguer à nouveau la hideur, il se lève. Il va vers la porte qu’il a verrouillée la veille au soir ; doucement l’entrouvre…

Les rideaux de la chambre de Sarah ne sont pas fermés. L’aube naissante blanchit la vitre. Armand s’avance vers le lit où sa sœur et Bernard reposent. Un drap couvre à demi leurs membres enlacés. Qu’ils sont beaux ! Armand longuement les contemple. Il voudrait être leur sommeil, leur baiser. Il sourit d’abord, puis, au pied du lit, parmi les couvertures rejetées, soudain s’agenouille. Quel dieu peut-il prier ainsi, les mains jointes ? Une indicible émotion l’étreint. Ses lèvres tremblent… Il aperçoit sous l’oreiller un mouchoir taché de sang ; il se lève, s’en empare, l’emporte et, sur la petite tache ambrée, pose ses lèvres en sanglotant.