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l’aurait approuvé ; il n’aimait pas Dhurmer ; mais il reconnaissait qu’Olivier avait agi comme un fou et semblait s’être donné tous les torts. Bernard souffrait de l’entendre juger sévèrement. Il s’approcha de Bercail et prit rendez-vous avec lui. Pour absurde que fût cette affaire, il leur importait à tous deux d’être corrects. Ils convinrent d’aller relancer leur client, le lendemain matin, dès neuf heures.

Ses deux amis partis, Bernard n’avait plus aucune raison ni aucune envie de rester. Il chercha des yeux Sarah, et son cœur se gonfla d’une sorte de rage, en la voyant assise sur les genoux de Passavant. Tous deux paraissaient ivres ; mais Sarah se leva pourtant en voyant approcher Bernard.

— Partons, dit-elle en prenant son bras.

Elle voulut rentrer à pied. Le trajet n’était pas long ; ils le firent sans mot dire. À la pension, toutes les lumières étaient éteintes. Craignant d’attirer l’attention, ils gagnèrent à tâtons l’escalier de service, puis grattèrent des allumettes. Armand veillait. Quand il les entendit monter, il sortit sur le palier, une lampe à la main.

— Prends la lampe, dit-il à Bernard (ils se tutoyaient depuis la veille). Éclaire Sarah ; il n’y a pas de bougie dans sa chambre… Et passe-moi tes allumettes, que j’allume la mienne.

Bernard accompagna Sarah dans la seconde chambre. Ils n’y furent pas plus tôt entrés qu’Armand, penché derrière eux, d’un grand souffle éteignit la lampe, puis, goguenard :