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— Il n’eût tenu qu’à vous…

Olivier remplit son verre et le vida d’un trait. À ce moment, il entendit Jarry, qui circulait de groupe en groupe, dire à demi-voix, en passant derrière Bercail :

— Et maintenant, nous allons tuder le petit Bercail.

Celui-ci se retourna brusquement :

— Répétez donc ça à voix haute.

Jarry s’était éloigné déjà. Il attendit d’avoir tourné la table et répéta d’une voix de fausset :

— Et maintenant, nous allons tuder le petit Bercail ; puis, sortit de sa poche un gros pistolet avec lequel les Argonautes l’avaient vu jouer souvent ; et mit en joue.

Jarry s’était fait une réputation de tireur. Des protestations s’élevèrent. On ne savait trop si, dans l’état d’ivresse où il était, il saurait s’en tenir au simulacre. Mais le petit Bercail voulut montrer qu’il n’avait pas peur et, montant sur une chaise, les bras croisés derrière le dos, prit une pose napoléonienne. Il était un peu ridicule et quelques rires s’élevèrent, couverts aussitôt par des applaudissements.

Passavant dit à Sarah, très vite :

— Ça pourrait mal finir. Il est complètement saoûl. Cachez-vous sous la table.

Des Brousses essaya de retenir Jarry, mais celui-ci, se dégageant, monta sur une chaise à son tour (et Bernard remarqua qu’il était chaussé de petits