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Auprès d’Édouard, ce qu’il avait de meilleur en lui s’exaltait. Auprès de Passavant, c’était le pire ; il se l’avouait à présent ; et même ne l’avait-il pas toujours reconnu ? Son aveuglement, près de Passavant, n’avait-il pas été volontaire ? Sa gratitude pour tout ce que le comte avait fait pour lui, tournait à la rancœur. Il le reniait éperdument. Ce qu’il vit acheva de le lui faire prendre en haine :

Passavant, penché vers Sarah, avait passé son bras autour de sa taille et se montrait de plus en plus pressant. Averti des bruits désobligeants qui couraient sur ses rapports avec Olivier, il cherchait à donner le change. Et pour s’afficher plus encore, il s’était promis d’amener Sarah à s’asseoir sur ses genoux. Sarah, jusqu’à présent, ne s’était que peu défendue, mais ses regards cherchaient ceux de Bernard et lorsqu’ils les rencontraient, elle souriait, comme pour lui dire :

— Regardez ce que l’on peut oser avec moi.

Cependant Passavant craignait d’aller trop vite. Il manquait de pratique.

— Si seulement je parviens à la faire boire encore un peu, je me risquerai, se disait-il, en avançant la main qui lui restait libre vers un flacon de curaçao.

Olivier qui l’observait devança son geste. Il s’empara du flacon, simplement pour l’enlever à Passavant ; mais aussitôt il lui sembla qu’il retrouverait dans la liqueur un peu de courage ; de ce courage qu’il sentait défaillir et dont il avait besoin pour pousser jusqu’à Édouard la plainte qui montait à ses lèvres :