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Bernard qui était demeuré près d’elle. Ses yeux amusés brillaient d’un éclat extraordinaire. Bernard, qui dans l’obscurité n’avait pu la voir, était frappé de sa ressemblance avec Laura. C’était le même front, les mêmes lèvres… Ses traits, il est vrai, respiraient une grâce moins angélique, et ses regards remuaient il ne savait quoi de trouble en son cœur. Un peu gêné, il se tourna vers Olivier.

— Présente-moi donc à ton ami Bercail.

Il avait déjà rencontré Bercail au Luxembourg, mais n’avait jamais causé avec lui. Bercail, un peu dépaysé dans ce milieu où venait de l’introduire Olivier, et où sa timidité ne se plaisait guère, rougissait chaque fois que son ami le présentait comme un des principaux rédacteurs d’Avant-Garde. Le fait est que ce poème allégorique, dont il parlait à Olivier au début de notre histoire, devait paraître en tête de la nouvelle revue, sitôt après le manifeste.

— À la place que je t’avais réservée, disait Olivier à Bernard. Je suis tellement sûr que ça te plaira ! C’est de beaucoup ce qu’il y a de mieux dans le numéro. Et tellement original !

Olivier prenait plus de plaisir à louer ses amis qu’à s’entendre louer lui-même. À l’approche de Bernard, Lucien Bercail s’était levé ; il tenait sa tasse de café à la main, si gauchement que, dans son émotion, il en répandit la moitié sur son gilet. À ce moment, on entendit tout près de lui la voix mécanique de Jarry :