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à couvrir ta faute. Hélas ! j’ai fait ce que j’ai pu pour cet enfant ; je l’ai traité comme le mien propre. Dieu nous montre à présent que c’était une erreur, de prétendre…

Mais dès la première phrase il s’arrête.

Et sans doute comprend-elle ces quelques mots si chargés de sens ; sans doute ont-ils pénétré dans son cœur, car elle est reprise de sanglots, encore plus violents que d’abord, elle qui depuis quelques instants ne pleurait plus ; puis elle se plie comme prête à s’agenouiller devant lui, qui se courbe vers elle et la maintient. Que dit-elle à travers ses larmes ? Il se penche jusqu’à ses lèvres. Il entend :

— Tu vois bien… Tu vois bien… Ah ! pourquoi m’as-tu pardonné… ? Ah ! je n’aurais pas dû revenir !

Presque il est obligé de deviner ses paroles. Puis elle se tait. Elle non plus ne peut exprimer davantage. Comment lui eût-elle dit qu’elle se sentait emprisonnée dans cette vertu qu’il exigeait d’elle ; qu’elle étouffait ; que ce n’était pas tant sa faute qu’elle regrettait à présent, que de s’en être repentie.

Profitendieu s’était redressé :

— Ma pauvre amie, dit-il sur un ton digne et sévère, je crains que tu ne sois un peu butée ce soir. Il est tard. Nous ferions mieux d’aller nous coucher.

Il l’aide à se relever, puis l’accompagne jusqu’à sa chambre, pose ses lèvres sur son front, puis retourne dans son bureau et se jette dans un fauteuil. Chose étrange, sa crise de foie s’est calmée ; mais il se sent