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Celui-ci cherchait quoi que ce fût de cinglant. Il manquait étrangement de présence d’esprit. C’était sans doute pour cela qu’il aimait si peu le monde : il n’avait rien de ce qu’il fallait pour y briller. Ses sourcils, cependant, se fronçaient. Passavant avait du flair ; dès qu’on avait du désagréable à lui dire, il sentait venir et pirouettait. Sans même reprendre haleine, et changeant de ton brusquement :

— Mais quelle est cette délicieuse enfant qui vous accompagne ? demanda-t-il en souriant.

— C’est, dit Édouard, Mademoiselle Sarah Vedel ; la sœur précisément de Madame Douviers, mon amie.

Faute de mieux, il aiguisa ce « mon amie » comme une flèche ; mais qui n’atteignit pas son but, et Passavant, la laissant retomber :

— Vous seriez bien aimable de me présenter.

Il avait dit ces derniers mots et la phrase précédente assez haut pour que Sarah pût les entendre ; et comme elle se tournait vers eux, Édouard ne put se dérober :

— Sarah, le comte de Passavant aspire à l’honneur de faire votre connaissance, dit-il avec un sourire contraint.

Passavant avait fait apporter trois nouveaux verres, qu’il remplit de kummel. Tous quatre burent à la santé d’Olivier. La bouteille était presque vide, et, comme Sarah s’étonnait des cristaux qui restaient au fond, Passavant s’efforça d’en détacher avec des pailles. Une sorte de jocrisse étrange, à la face enfarinée, à l’œil de jais, aux cheveux plaqués