Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le regard ironique d’Édouard coupa le reste de sa phrase. Habile à séduire et habitué à plaire, Passavant avait besoin de sentir en face de lui un miroir complaisant, pour briller. Il se ressaisit pourtant, n’étant pas de ceux qui perdent pour longtemps leur assurance et acceptent de se laisser démonter. Il redressa le front et chargea ses yeux d’insolence. Si Édouard ne se prêtait pas à son jeu de bonne grâce, il aurait de quoi le mâter.

— Je voulais vous demander… reprit-il, comme continuant sa pensée : Avez-vous des nouvelles de votre autre neveu, mon ami Vincent ? C’est avec lui surtout que j’étais lié.

— Non, dit Édouard sèchement.

Ce « non » désarçonna de nouveau Passavant, qui ne savait trop s’il devait le prendre comme un démenti provocant, ou comme une simple réponse à sa question. Son trouble ne dura qu’un instant ; Édouard, innocemment, le remit en selle en ajoutant presque aussitôt :

— J’ai seulement appris par son père qu’il voyageait avec le prince de Monaco.

— J’avais demandé à une de mes amies de le présenter au prince, en effet. J’étais heureux d’inventer cette diversion, pour le distraire un peu de sa malheureuse aventure avec cette Madame Douviers… que vous connaissez, m’a dit Olivier. Il risquait d’y gâcher sa vie.

Passavant maniait à merveille le dédain, le mépris, la condescendance ; mais il lui suffisait d’avoir gagné cette manche et de tenir Édouard en respect.