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d’indulgence provisoire, car c’était pour les juger ensuite et d’autant plus sévèrement ; de sorte que Sarah n’aurait pas su dire si ses complaisances même ne faisaient pas enfin le jeu du censeur.

La chambre d’Armand était vide. Sarah s’assit sur une petite chaise basse, et, dans l’attente, médita. Par une sorte de protestation préventive, elle cultivait en elle un facile mépris pour toutes les vertus domestiques. La contrainte familiale avait tendu son énergie, exaspéré ses instincts de révolte. Durant son séjour en Angleterre, elle avait su chauffer à blanc son courage. De même que Miss Aberdeen, la jeune pensionnaire anglaise, elle était résolue à conquérir sa liberté, à s’accorder toute licence, à tout oser. Elle se sentait prête à affronter tous les mépris et tous les blâmes, capable de tous les défis. Dans ses avances auprès d’Olivier, elle avait triomphé déjà de sa modestie naturelle et de bien des pudeurs innées. L’exemple de ses deux sœurs l’avait instruite ; elle considérait la pieuse désignation de Rachel comme une duperie ; ne consentait à voir dans le mariage de Laura qu’un lugubre marché, aboutissant à l’esclavage. L’instruction qu’elle avait reçue, celle qu’elle s’était donnée, qu’elle avait prise, la disposait fort mal, estimait-elle, à ce qu’elle appelait : la dévotion conjugale. Elle ne voyait point en quoi celui qu’elle pourrait épouser lui serait supérieur. N’avait-elle point passé les examens, tout comme un homme ? N’avait-elle point, et sur n’importe quel sujet, ses opinions à elle, ses idées ? Sur l’égalité des sexes, en particu-