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exactement. Il ne put se retenir de rectifier : « J’ai versé telle goutte de sang… »

L’exaltation d’Armand retomba tout aussitôt. Il haussa les épaules :

— Qu’y pouvons-nous ? Il en est qui seront reçus haut la main… Comprends-tu ce que c’est maintenant, de se sentir toujours « sur la limite » ? Il me manquera toujours un point.

Il s’était remis à rire. Olivier pensa que c’était par peur de pleurer. Il aurait voulu parler à son tour, dire à Armand combien le remuaient ses paroles, et tout ce qu’il sentait d’angoisse sous cette exaspérante ironie. Mais l’heure du rendez-vous avec Passavant le pressait. Il tira sa montre :

— Je vais devoir te quitter, dit-il. Serais-tu libre ce soir ?

— Pourquoi ?

— Pour venir me retrouver à la Taverne du Panthéon. Les Argonautes donnent un banquet. Tu t’y amènerais à la fin. Il y aura là des tas de types plus ou moins célèbres et un peu saouls. Bernard Profitendieu m’a promis d’y venir. Ça pourra être drôle.

— Je ne suis pas rasé, dit Armand sur un ton maussade. Et puis qu’est-ce que tu veux que j’aille faire au milieu des célébrités ? Mais sais-tu quoi ? Demande donc à Sarah, qui est rentrée d’Angleterre ce matin même. Ça l’amuserait beaucoup, j’en suis sûr. Veux-tu que je l’invite de ta part ? Bernard l’emmènerait.

— Mon vieux, ça va, dit Olivier.