Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mais tu vois bien que je ne lui ai rien dit… Lis mieux sa lettre.

— J’ai bien lu… Mais alors comment a-t-il découvert ? Qui lui a dit… ?

Quoi ! c’est à cela qu’elle songe ! C’est là l’accent de sa tristesse ! Ce deuil devrait les réunir. Hélas ! Profitendieu sent confusément leurs pensées à tous deux prendre une direction divergente. Et tandis qu’elle se plaint, qu’elle accuse, qu’elle revendique, il essaye d’incliner cet esprit rétif vers des sentiments plus pieux :

— Voilà l’expiation, dit-il.

Il s’est levé, par instinctif besoin de dominer ; il se tient à présent tout dressé, oublieux et insoucieux de sa douleur physique, et pose gravement, tendrement, autoritairement la main sur l’épaule de Marguerite. Il sait bien qu’elle ne s’est jamais que très imparfaitement repentie de ce qu’il a toujours voulu considérer comme une défaillance passagère ; il voudrait lui dire à présent que cette tristesse, cette épreuve pourra servir à son rachat ; mais il cherche en vain une formule qui le satisfasse et qu’il puisse espérer faire entendre. L’épaule de Marguerite résiste à la douce pression de sa main. Marguerite sait si bien que toujours, insupportablement, quelque enseignement moral doit sortir, accouché par lui, des moindres événements de la vie ; il interprète et traduit tout selon son dogme. Il se penche vers elle. Voici ce qu’il voudrait lui dire :

— Ma pauvre amie, vois-tu : il ne peut naître rien de bon du péché. Il n’a servi de rien de chercher