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rater l’allitération. Quant à « hémorroïdes », c’est assurément le plus beau mot de la langue française… même indépendamment de sa signification, ajouta-t-il avec un ricanement.

Olivier se taisait, le cœur serré. Armand reprit :

— Inutile de te dire que le vase de nuit est particulièrement flatté lorsqu’il reçoit la visite d’un pot tout empli comme toi d’aromates.

— Et tu n’as rien écrit d’autre que ça ? finit par demander Olivier, désespérément.

— J’allais proposer mon Vase nocturne à ta glorieuse revue, mais, au ton dont tu viens de dire : « ça », je vois bien qu’il n’a pas grand’chance de te plaire. Dans ces cas-là, le poète a toujours la ressource d’arguer : « Je n’écris pas pour plaire », et de se persuader qu’il a pondu un chef-d’œuvre. Mais je n’ai pas à te cacher que je trouve mon poème exécrable. Du reste, je n’en ai écrit que le premier vers. Et quand je dis « écrit », c’est encore une façon de parler, car je viens de le fabriquer en ton honneur, à l’instant même… Non, mais, vraiment, tu songeais à publier quelque chose de moi ? Tu souhaitais ma collaboration ? Tu ne me jugeais donc pas incapable d’écrire quoi que ce soit de propre ? Aurais-tu discerné sur mon front pâle les stigmates révélateurs du génie ? Je sais qu’on n’y voit pas très bien ici pour se regarder dans la glace ; mais quand je m’y contemple, tel Narcisse, je n’y vois qu’une tête de raté. Après tout, c’est peut-être un effet du faux jour… Non, mon cher Olivier, non, je n’ai rien écrit cet été, et si tu comptais sur moi pour ta revue, tu