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douloureusement Olivier ; le lit n’était pas fait et, sur la table de toilette, la cuvette n’était pas vidée.

— Oui, je fais ma chambre moi-même, dit Armand, en réponse à son regard inquiet. Ici, tu vois ma table de travail. Tu n’as pas idée ce que l’atmosphère de cette chambre m’inspire.

« L’atmosphère d’un cher réduit… »

C’est même à elle que je dois l’idée de mon dernier poème : Le Vase nocturne.

Olivier était venu trouver Armand avec l’intention de lui parler de sa revue et d’obtenir sa collaboration ; il n’osait plus. Mais Armand y venait de lui-même.

Le Vase nocturne ; hein ! quel beau titre !… Avec cet épigraphe de Baudelaire :

« Es-tu vase funèbre attendant quelques pleurs ? »

J’y reprends l’antique comparaison (toujours jeune) du potier créateur, qui façonne chaque être humain comme un vase appelé à contenir on ne sait quoi. Et je me compare moi-même, dans un élan lyrique, au vase susdit ; idée qui, comme je te le disais, m’est venue naturellement en respirant l’odeur de cette chambre. Je suis particulièrement content du début de la pièce :

« Quiconque à quarante ans n’a pas d’hémorroïdes… »

J’avais d’abord mis, pour rassurer le lecteur :
« Quiconque à cinquante ans… » ; mais ça me faisait