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chambre des parents (ce qui ne fait pas son affaire), ou par la mienne, qui n’était d’abord, à vrai dire, qu’un cabinet de toilette ou qu’un débarras. Ici j’ai du moins l’avantage de pouvoir entrer et sortir quand je veux, sans être espionné par personne. J’ai préféré ça aux mansardes, où l’on loge les domestiques. À vrai dire, j’aime assez être mal installé ; mon père appellerait cela : le goût de la macération, et t’expliquerait que ce qui est préjudiciable au corps prépare le salut de l’âme. Du reste, il n’est jamais entré ici. Tu comprends qu’il a d’autres soucis que de s’inquiéter des habitacles de son fils. Il est très épatant, mon papa. Il sait par cœur un tas de phrases consolatrices pour les principaux événements de la vie. C’est beau à entendre. Dommage qu’il n’ait jamais le temps de causer… Tu regardes ma galerie de tableaux ; le matin on en jouit mieux. Ça, c’est une estampe en couleurs, d’un élève de Paolo Uccello ; à l’usage des vétérinaires. Dans un admirable effort de synthèse, l’artiste a concentré sur un seul cheval tous les maux à l’aide desquels la Providence épure l’âme équine ; tu remarqueras la spiritualité du regard… Ça, c’est un tableau symbolique des âges de la vie, depuis le berceau jusqu’à la tombe. Comme dessin, ça n’est pas très fort ; ça vaut surtout par l’intention. Et, plus loin, tu admireras la photographie d’une courtisane du Titien, que j’ai mise au-dessus de mon lit, pour me donner des idées lubriques. Cette porte, c’est celle de la chambre de Sarah.

L’aspect quasi sordide du lieu impressionnait