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de sa vraie mère qui nous l’avait confié en mourant… est venu ce soir le reprendre.

Un pénible silence suit ses paroles et l’on entend renifler Caloub. Chacun attend, pensant qu’il va parler davantage. Mais il fait un geste de la main :

— Allez, maintenant, mes enfants. J’ai besoin de causer avec votre mère.

Après qu’ils sont partis, Monsieur Profitendieu reste longtemps sans rien dire. La main que Madame Profitendieu a laissée dans les siennes est comme morte. De l’autre, elle a porté son mouchoir à ses yeux. Elle s’accoude à la grande table, et se détourne pour pleurer. A travers les sanglots qui la secouent, Profitendieu l’entend murmurer :

— Oh ! vous êtes cruel… Oh ! vous l’avez chassé…

Tout à l’heure, il avait résolu de ne pas lui montrer la lettre de Bernard ; mais, devant cette accusation si injuste, il la lui tend :

— Tiens : lis.

— Je ne peux pas.

— Il faut que tu lises.

Il ne songe plus à son mal. Il la suit des yeux, tout le long de la lettre, ligne après ligne. Tout à l’heure en parlant, il avait peine à retenir ses larmes ; à présent l’émotion même l’abandonne ; il regarde sa femme. Que pense-t-elle ? De la même voix plaintive, à travers les mêmes sanglots, elle murmure encore :

— Oh ! pourquoi lui as-tu parlé… Tu n’aurais pas dû lui dire.