Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« — Et Vincent ?

« — Il y a quelques années, tout ce que je vous dis d’Olivier, je l’eusse dit de lui.

« — Ma pauvre amie… Bientôt, vous le direz de Georges.

« — Mais lentement on se résigne. On ne demandait pourtant pas beaucoup de la vie. On apprend à en demander moins encore… toujours moins. Puis elle ajouta doucement : — Et de soi, toujours plus.

« — Avec ces idées-là, on est déjà presque chrétienne, repris-je, en souriant à mon tour.

« — C’est ce que je me dis parfois. Mais il ne suffit pas de les avoir pour être chrétien.

« — Non plus qu’il ne suffit d’être chrétien pour les avoir.

« — J’ai souvent pensé, laissez-moi vous le dire, qu’à défaut de leur père, vous pourriez parler aux enfants.

« — Vincent est loin.

« — Il est trop tard pour lui. C’est à Olivier que je songe. C’est avec vous que j’aurais souhaité qu’il partît.

« À ces mots, qui me laissaient imaginer brusquement ce qui aurait pu être si je n’avais pas inconsidérément accueilli l’aventure, une affreuse émotion m’étreignit, et d’abord je ne pus trouver rien à dire ; puis, comme les larmes me montaient aux yeux, désireux de donner à mon trouble une apparence de motif :

« — Pour lui aussi, je crains bien qu’il ne soit trop tard, soupirai-je.